Echange avec Emilie Thébault
Emilie Thébault et CEO et fondatrice de SerendpTech. Après une carrière au ministère de l’intérieur où elle travaille sur l’identité et sa protection, Emilie se lance en 2016 dans l’aventure entrepreneuriale et fonde sa startup.
Marie : Tu travailles sur la protection des données, l’usurpation d’identité, de mon côté je travaille sur le personal branding et en quelque sorte l’exposition de soi. Je ne pense pas être totalement naïve face aux risques mais je n’en connais probablement pas l'étendue. Est-ce que tu peux m’en parler un peu ?
Emilie : D’abord je pense que c’est important de rappeler que le personal branding est un outil comme un autre pour réussir quelque chose. Mais c’est vrai que la plupart du temps, les personnes qui mettent leurs vrais noms et prénoms sur TikTok ne se rendent pas compte des implications. La mise en avant perpétuelle de soi est risquée lorsque, de soi-même, on déverse des données personnelles sur internet, qui derrière peuvent être utilisées sur le dark web.
Le contexte règlementaire notamment avec le RGPD permet une certaine prise de conscience mais c’est loin d’être optimal. La RGPD reste imbitable car les entreprises ont des obligations qui les dépassent et de l’autre, les usages individuels vont à l’inverse de tout ça. Il n’y a jamais eu autant de hacking que pendant le confinement. Le nombre de brèches de sécurité sur Zoom et sur Teams par exemple est impressionnant. L’arnaque classique c’est créer un faux compte Boursorama avec les données personnelles de quelqu’un, et cette personne se retrouve fichée Banque de France. Tu as donc un homonyme fiché bancaire et tu ne peux plus rien faire de ta vie. Un autre exemple est celui du revenge porn.
Trouver des informations sur des individus, ce n’est pas compliqué. La règle c’est que c’est impossible de se protéger à 100%. Par contre tu peux limiter les risques et réagir le plus vite possible.
C’est aussi pour cette raison que technologiquement Serendptech a fait le choix de s’appuyer uniquement sur les smartphones. La bataille Apple vs. Samsung ne tourne que sur la qualité de l’écran, le selfie. On est dans une culture de l’ego. Donc ma R&D (Recherche et Développement) c’est Samsung et Apple qui le font à ma place. Ça se joue sur la photo, pas sur la 5G. Une donnée et une image, c’est la même chose et c’est ça qu’il faut sécuriser.
M : On s’interroge de plus en plus sur les questions de données personnelles mais on voit aussi un mouvement de plus en plus important sur la recherche de transparence, le #nofilter, l’authenticité. Je ne crois pas que ces deux aspirations soient incompatibles, quels sont ses impacts en termes de cybersécurité pour toi ?
E : Les gens recherchent de plus en plus de vérité et je pense que cette libération est dans l’ensemble positive. Plus tu généralises quelque chose, moins ça aura de capacité à faire des victimes. Cette capacité à donner du vrai va faire que les réseaux soient moins des viviers à victimes ou des machines à créer de la perfection.
La tendance est forte, le courage donne du courage aux autres. On recherche du vrai et du naturel. Par contre, lorsqu’on peut recouper facilement toutes les informations, lorsqu’on peut faire facilement des profils de personnalité, c’est là que ça devient dangereux. Si les identités sont séquencées, c’est plus safe. C’est aussi important de laisser à chacun le droit d’exprimer son identité là où il le veut et quand il veut.
Le plus grand danger est probablement d’être dans un storytelling absolu, qui manque de vrai mais pour autant qui donne toutes tes informations personnelles.
Il y a encore beaucoup de choses à penser sur la sécurité sur internet. On a pris conscience de la valeur de nos données personnelles, à l’échelle européenne on a mis des choses en place pour les protéger, mais on n’a pas encore trouvé un moyen d’avoir un oubli sur internet. Et il y a aujourd’hui une justice immanente, une intemporalité éternelle. Tu ne peux plus envoyer de vidéos, tu ne peux plus effacer des articles. C’est inquiétant et il faut s’atteler à ce problème. C’est encore plus dangereux quand tu n’as pas le mode d’emploi et sur ce sujet, il y a une réelle incompétence de base. Le côté tribunal populaire des réseaux sociaux ne donne pas super envie non plus de se lancer et de faire du personal branding. J’ai envie de m’exprimer et être structurée, mais j’ai aussi envie de pouvoir changer d’avis. Quand tu es un individu qui a aussi une marque, quand tu es entrepreneur tu es obligé de te poser ces questions là.
M : En tant qu’entrepreneure est-ce que c’est quelque chose que tu ressens ? Penses-tu qu’incarner les valeurs de sa marque soit devenu un prérequis pour se lancer en tant entrepreneur.e ?
E : L’incarnation devient une valeur centrale du business mais à tel point que ça devient une imposition, un code. Pour moi qui découvre le monde de l’entreprenariat c’est tout nouveau. Tu te dois d’incarner ton projet, ton produit, d’avoir une vision, la communiquer. Tu te dois d’être irréprochable, d’avoir une vision, rattachée au business mais pas mercantile, naturelle mais travaillée. Il y a aussi une injonction à être un « superentrepreneur », à parler de plein de choses, sauf que tout le monde n’a pas forcément envie de parler de tout tout le temps. Alors au début, tu sépares vie professionnelle et vie personnelle mais c’est compliqué, et du coup tu ne fais plus rien ou alors tu twittes du vide. Socialement, l’incarnation est chronophage, c’est un job à part entière et c’est assez dur à supporter.
Mais c’est vrai que ça marche, c’est peut-être même l’une des stratégies qui a le plus payé pour Serendptech. « Ah on vous a vu à la télé ».
M : Et est-ce que tu es plus à l’aise avec cette exposition personnelle aujourd’hui ? Est-ce que tu t’es formée ou est-ce que c’est venu avec le temps ?
E : Les incubateurs rechignent à donner les clefs du personal branding. On attend que tu ailles chercher ça ailleurs. Peut-être que c’est vu comme un « soutien » ou un peu comme du maquillage. Et malheureusement les communicants que tu paies n’ont pas toujours le courage de te dire « habilles-toi différemment » et surtout c’est pas leur métier de faire de la com personnelle à proprement parler. Quand tu montes ta boite, tu peux ne jamais en entendre parler. Et tu ne vois que le résultat. Mon motto était que « la forme ne pouvait jamais l’emporter sur le fond » et c’était une grossière erreur.
Le fait que j’ai appris à me “marketer” dans la douleur est aussi un regret mais aujourd’hui, je ne suis plus aussi contre qu’avant. Je me force mais ça m’a pris des très longs mois, j’ai toujours un manque de légitimité pour parler, ça reste. J’ai dû suivre les conseils qu’on m’a donnés et me faire violence. Maintenant, j’y prends plus de plaisir, j’ai de l’adrénaline quand je monte sur scène, mais ça ne reste pas mon kiff de faire des conférences.
Merci Emilie !
site web : www.serendptech.com
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