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Les salariés sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise.


Echange avec Thomas Bucaille


Thomas Bucaille est SVP RH et RSE chez Petit Bateau et a près de 30 ans d’expérience dans le secteur. Il a travaillé dans 5 pays et s’est spécialisé dans le secteur luxe, beauté retail avec une carrière chez L’Oréal et au sein de filiales LVMH tels que Christian Dior Couture et Ralph Lauren.


 

Marie : Entreprendre sa vie, le fait d’être acteur de son propre changement, est une tendance qui s’accélère avec le mode de l’entrepreneuriat mais aussi la réforme de la formation. Pour toi c’est une révolution ou une évolution ?


Thomas : On a beaucoup entendu ce discours. Ça fait un moment qu’on défend l’idée que le collaborateur est acteur de sa carrière, qu’il ne doit pas être passif. C’est le cadre général mais si on est obligé de le ressasser, c’est qu’il n’est pas forcément naturel. Il faut bien garder en tête que c’est une tendance plus vraie chez les jeunes, les cadres et les diplômés, mais aussi plus vraie dans les grandes villes que dans les villes de taille moyenne dans lesquelles on se dit moins qu’on va bouger.

Il y a une grande inégalité dans notre capacité à pouvoir être acteur de notre changement.

Ça fait 15 ans qu’on parle d’entreprendre sa vie, mais concrètement ce qui domine c’est plutôt la bureaucratie entre CPF et partenaires sociaux avec beaucoup de bonnes intentions mais peu de réalisations concrètes. Les collaborateurs français ont cette tendance à attendre tout du ciel, de l’Etat, de l’entreprise, dans un rapport souvent contradictoire. Dans les faits, les programmes d’empowerment des employés sont très compliqués et ils changent tout le temps. Par exemple, les CIF (Congés Individuels de Formation) sont des programmes plus longs qui marchent mieux que d’autres selon moi. Pourtant, ils sont remplis de contradictions car ils financent le projet de l’employé pour lui permettre de partir. Une personne normale ne peut pas s’y retrouver et in fine certains budgets ne sont pas captés.




M : La question de la formation touche bien sûr à la notion d’employabilité. Mais l’employabilité c’est aussi savoir présenter ses compétences et valoriser son parcours. Pourtant j’ai l’impression que le personal branding est une notion encore peu développée, du moins en France. A titre personnel et en tant que RH comment tu vois les choses ?


T : Quand on a vécu l’expérience de la recherche d’emploi, on voit les choses différemment, on se rend compte que c’est nous le produit. On ne se pose pas longtemps la question de notre personal branding. À titre personnel j’aime bien écrire donc je le fais mais je sais aussi que les chasseurs de têtes voient ça. L’écriture me rend visible et c’est utile car ça me permet de ne pas tomber dans une situation où je dois construire ma marque personnelle en partant de zéro si je veux ou dois changer d’emploi. La question, c’est à partir de quand on intègre parfaitement le personal branding dans notre vie corporate. Cette dimension est plus évidente pour ceux qui ont une fonction commerciale ainsi que les PDG. Et là tout dépend de l’individu et de la culture d’entreprise : par exemple, Jean-Paul Agon n’est pas très présent médiatiquement alors que c’est l’un des principaux patrons français. Mais Emmanuel Faber est un contre-exemple et va même au-delà : on peut se demander si le PDG n’est pas devenu plus connu que Danone.

M : Traditionnellement on attend effectivement des patrons qu’ils incarnent leur entreprise, du moins qu’ils prêtent leur voix et leur visage, mais pour autant est-ce qu’on peut parler de communication “personnelle” au sens de communication authentique et lié à leur personnalité ? Est-ce que ce style “communication personnelle impersonnelle” n’est pas dépassé ?


Tout le monde attend du patron qu’il parle au nom de l’entreprise. Effectivement, la manière moderne de le faire est de parler de soi de façon authentique et de communiquer ses convictions. Cette idée de porter ses convictions sur la place publique est assez nouvelle et c’est quelque chose qui se joue à tous les niveaux, de plus en plus d’échelons hiérarchiques sont concernés. On le voit aussi sur les réseaux sociaux : les posts avec le plus d’engagement sont ceux dans lesquels les collaborateurs se mettent en scène sur la page corporate, en postant par exemple des photos de famille dans l’esprit Petit Bateau. Plus la communication est ancrée dans l’individualité plus elle crée d’engagement.

En fait, la communication personnelle fait partie de l’incarnation nécessaire de l’entreprise. Les salariés sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise mais cela rend aussi plus difficile le respect des consignes de marque.



M : La communication personnelle ne peut pas être totalement brandée ou bridée – comment vous gérez ça ?


T : “Ce qui est à l’intérieur se voit à l’extérieur.” :) Il y a trois ans, lors d’un projet de la marque employeur, on a déterminé quatre mots pour parler de l’état d’esprit interne : authentique, agile, complice et intrépide. A partir de là, on a redéfini les valeurs de la marque et la plateforme de marque. Il ne peut pas y avoir des valeurs corporate et des valeurs liées à la marque employeur différentes, plus aujourd’hui.


Ce qui est à l’intérieur se voit à l’extérieur.

Mais il y a aussi une question de culture et d’évolution des mentalités. J’ai été éduqué à une époque où on disait qu’il fallait être le plus discret possible sur ses engagements personnels. Si on avait un engagement, c’était compliqué, le DRH pouvait nous dire qu’on n’avait pas le droit de s’exprimer. LinkedIn et les réseaux sociaux de manière générale ont un peu fait tomber ça, il y a cette notion d’authenticité qui prend aujourd’hui le dessus. Ce n’est pas non plus une notion complètement nouvelle, je me souviens de la publication du livre Why shouldn’t anyone be led by you de Rob Goffee en 2006 qui abordait déjà la question de l’authenticité et avait fait beaucoup de bruit dans le secteur du management. Il y a aussi une question générationnelle mais effectivement aussi une question culturelle. Aux Etats-Unis la question a émergé plus tôt aussi parce que la séparation “personnel” et “professionnel” était d’autant plus forte pendant très longtemps, avec des restes de fordisme même dans le tertiaire où les employés étaient enfermés dans leur travail dans des cubicles comme des ouvriers des temps modernes. Du constat d’individus ternes au bureau mais créatifs à la maison est venue l’idée d’apporter l’énergie du personnel au professionnel. Et cela passe par cette recherche d’authenticité.

Mais l’équilibre recherché est subtil : à partir de quand va-t-on voir untel en lui disant qu’il est trop discret ? Il y a un premier temps qui consiste à dire : sors et va dans les colloques, participe ! On est dans un monde de réseau et il faut le construire, mais on est dans une ambiguïté permanente.



M : En effet entre injonction, invitation et interdiction c’est un terrain encore miné ou du moins à défricher pour pas mal d’entreprises. Ça pose aussi la question pour moi du rapport entre les injonctions parfois contradictoires à penser collectif et celles de se prendre en main tout seul ?


T : Oui mais est-ce que ce n’est pas un faux problème ? Penser collectif ce n’est pas penser comme tout le monde, c’est penser au collectif et ce n’est pas incompatible du leadership, ça n’exclut pas le respect des règles. On respecte les règles de la tribu lorsque l’on en fait partie.


Merci Thomas !




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